Art et psychanalyse

Note rédigée par Patrick Avrane dans les Lettres de la Société de Psychanalyse Freudienne.

Les Musées nationaux avaient eu la bonne initiative de demander à Juan-David Nasio de rédiger l’album de l’exposition Vallotton qui eut lieu récemment à Paris, nous avions rendu compte de cet ouvrage illustré, dont le texte, remanié, est repris dans ce livre, accompagné d’autres articles sur le même thème de l’art.

L’intérêt du travail de Juan-David Nasio, que nous retrouvons ici, est de faire participer le lecteur à son écoute de l’artiste. « Je voudrais que ma première parole soit précédée de la voix magique de la Callas. Je vous invite donc […] à vous laisser emporter par l’air Un bel di, vedremo […] de Madame Butterfly » (p. 79); « J’ai apporté ce soir le tableau d’un cri. Il n’y a qu’un […], cette toile de Bacon intitulée Head VI » (p. 97); « J’avais assisté […] à un magnifique ballet, L’Après-midi d’un faune, […] Bortoluzzi se tient à la barre et, dans un lent battement circulaire, il lève le pied gauche vers l’avant et vers l’arrière en effleurant à peine le sol » (p. 109); « Je n’ai pas vu quelqu’un pleurer, j’ai vu des yeux pleurer » (p. 115). Une cantatrice, un danseur, un peintre, des toiles ; à chaque fois, Juan-David Nasio part de son expérience, mais d’une expérience qu’il fait en sorte de partager avec celui qui le lit. Il ne nous impose ni un savoir sur l’art et l’artiste, ni une connaissance sur les ressorts inconscients de l’oeuvre ; il nous propose de partager un cheminement avec lui.

Ce chemin, c’est celui d’un psychanalyste rompu à la clinique. Dans la biographie de Maria Callas, dont il souligne combien la vie est celle de sa voix, Juan-David Nasio met en évidence la figure essentielle de sa mère. Le cri de Bacon est un « cri sourd, un cri de silence, un cri qui absorbe. Ce n’est pas un cri qui expire, c’est un cri qui aspire et vide l’espace. » (p. 99), celui qu’il entend chez une patiente. Le pied du danseur devient le lieu de la jouissance, ce « lieu du corps qui n’appartenait plus vraiment à la personne du danseur » (p. 111). Les yeux que l’analyste voit pleurer sont les yeux de Laure, dont il nous explique comment et pourquoi ce sont ceux de L’Enfant à la Colombe de Picasso. Quant à Vallotton, à partir de son autobiographie romancée, La Vie meurtrière, nous comprenons pourquoi il ne se sentait pas coupable, mais combien l’amertume de son oeuvre est « l’écume d’un sentiment inconscient de culpabilité » (p. 143). « L’homme amer est un homme désenchanté, et l’homme désenchanté est un homme qui aime la dissonance des couleurs, la disharmonie des formes, voire la laideur des corps. Incontestablement, le style de Vallotton est l’expression sublimée de sa profonde amertume » (p. 144).

Sublimée, tout est là, souligne Juan-David Nasio dans son chapitre intitulé « L’art agit par hypnose ». « Une oeuvre ne peut être qualifiée de « sublimée » que si elle déclenche chez le spectateur le même élan créateur qui a entrainé l’artiste à la produire » (p. 129). Il y a un peu de cela dans cet ensemble de textes, convaincants parce qu’ils nous font rencontrer l’art et l’artiste, parce qu’ils nous entraînent dans la création de l’analyste.

Art et psychanalyse traite à la fois de la pratique psychanalytique, de la clinique, de la dynamique de la cure, de ses appuis théoriques, et du rapport du psychanalyste à l’art et aux artistes : ce qu’une toile, un ballet, le geste d’un danseur, la voix d’une cantatrice permettent de comprendre, d’entendre. C’est donc, au sens plein de l’expression, à l’art du psychanalyste que Juan-David Nasio nous introduit brillamment.