Oui, la psychanalyse guérit !

Note rédigée par Mireille Andrès.

L’art de l’analyste se fonde sur une double traversée : celle de sa vie intérieure en suspens, mais au travail à proprement parler, au point d’écouter les vibrations psychiques de ses patients avec une acuité au plus vif de ses possibilités d’accueil et, celle de leur fantasme inconscient, lieu du trauma ou du choc qui bloquent les représentations et les réduisent à un certain silence.

Le fantasme inconscient consiste en une scène minimale, aux contours flous, aux affects aigus, où une part inconnue du patient et de sa dramaturgie désirante se terre, à l’instar d’un arrêt sur image, avec ses objets d’amour et/ou de haine personnage principaux ou personnages secondaires auxquels il est lié affectivement.

Le fantasme inconscient est le refoulé du patient, il ne sait pas de quoi il s’agit, il ne sait pas par quoi il est agi mais il règne un climat passionnel : l’amour, le désir et l’engagement narcissique y constituent des actions théâtrales ; le processus du refoulé diffère selon qu’il s’agit d’une phobie, d’une hystérie ou d’une névrose obsessionnelle, les trois champs de la névrose au cours desquelles l’émotion traumatique prend différentes voies.

Guérir avec la psychanalyse et plus précisément grâce à l’art de sculpteur de la psyché de l’analyste – c’est ainsi que se profile le travail continu, engagé et persévérant de J.-D. NASIO, le mot juste, – une émotion tempérée en proximité avec celle de son patient, la question pertinente, la préoccupation du détail – c’est sortir de cette scène mortifère, insistante, répétitive qui fige l’investissement, les pulsions de vie et la sublimation. C’est la (re)création d’une alliance apaisée entre le moi et le surmoi.

Il s’agit de déloger les fixations libidinales, de rendre conscientes les places où s’abritent la sensation et le fantasme du patient d’être aimé et désiré. En effet, l’élan du sujet se dirige vers son objet élu mais il se représente également une image inconsciente de son éprouvé d’être aimé et désiré par son élu. C’est une histoire d’amour et/ou de haine, et c’est aussi une histoire de conquête du corps de l’objet aimé et/ou haï.

Radicalement concentré, au cœur de sa réceptivité, grâce à sa longue pratique de plus de cinquante ans du « faire silence en soi », de l’attention fine et soutenue à la configuration fantasmatique et désirante de chacun de ses patients, à l’étude continue des concepts, à la parole de ses maîtres, J.-D. NASIO nous offre une réflexion très approfondie sur la question de l’interprétation afin de la métamorphoser en une « interprétation créatrice ».

« Faire silence en soi », selon J.-D. NASIO, c’est faire se taire son inconscient personnel, certes, mais c’est surtout s’appuyer sur les qualités de travailleur infatigable de l’inconscient devenu alors un « inconscient instrumental », sensible au moindre frémissement psychique, ainsi « capteur » de l’inconscient de son patient.

Interpréter, c’est la mise à jour des enjeux désirants à l’œuvre dans le fantasme conscient, de leur impact traumatique, de leurs réactions, des voies émergentes et, c’est leur donner un sens dans la circulation signifiante afin de dévitaliser leur charge invalidante. C’est restituer au patient sa place d’où il peut aimer et travailler, c’est lui ouvrir la possibilité d’être à nouveau soi, d’être enfant qui joue, où il se sent assuré que perdre une partie de son soi fantasmé c’est recréer.

Selon le cas, selon sa structure et selon le récit de son patient, J.-D. NASIO a élaboré quatre types inédits d’interprétation : l’Interprétation narrative, la Prosopopée interprétative, l’Interprétation gestuelle, la Rectification subjective, illustrés par des cas cliniques.

Dans son écoute, il isole ainsi soit le personnage principal du scénario fantasmatique et lui donne la forme d’un récit qu’il fait entendre à son patient (Interprétation narrative) ; soit il isole le personnage secondaire du fantasme inconscient qui tient lieu de juge et de surmoi sévère et propose un dialogue avec lui dans lequel il se fait tiers, posture qui allège la charge émotive du lien (Prosopopée interprétative) ; soit il mime l’action représentée par la scène rapportée et dégage la place de l’image du corps du patient et des affects à l’œuvre (Interprétation gestuelle) ; soit il corrige le sens de la situation psychique où le patient pense se trouver et ouvre des voies de travail inédites dès la première séance (Rectification subjective).

J.-D. NASIO nous révèle de ce fait les mouvements subtils de l’inconscient du psychanalyste dans l’adresse à autrui : récit, dialogue, mise en scène, monologue, mobilisent selon le cas les fixations libidinales, mettent le patient en position d’éveil et d’écoute à son tour et, de séparation avec ses zones obscurcies en introjectant la position d’un tiers. La forme du discours de l’analyste fait accéder le patient à la visualisation de sa scène douloureuse, à une nouvelle mise en mots et, ainsi, il est en mesure de s’en distancer progressivement. La forme de la traduction de l’analyste affranchit le patient de ses investissements infantiles et, il lui est possible d’exploiter ses ressources pulsionnelles autrement.

En effet, la scène du fantasme inconscient se situe dans une zone mortifère et stagnante dans sa relation à l’être aimé et/ou haï dont il est dépendant, parce que c’est ainsi qu’il se sent faire partie du lien d’une part et, que son corps désirant s’exprime d’autre part. Elle diffère selon la structure : phobie, hystérie, névrose obsessionnelle ont chacune leur style pour signifier l’excès de tension psychique, formatrice du symptôme. Le patient se trouve en manque de représentations et de paroles pour surmonter cet espace délétère de sa psyché, lui donner une perspective.

La double empathie de l’analyste envers son patient – une attention vive et soutenue ici et maintenant, au présent, et, à celui d’alors, l’enfant ou l’adolescent blessé en lui – lui permet d’envisager avec son inconscient instrumental efficient grâce à la haute qualité du « faire silence en soi » l’objet d’amour et/ou de haine qui fait partie du tableau refoulé du sujet qui s’adresse à lui et, qui lui transmet en toute confiance sa douleur et ses empêchements.

Dans tous les cas aussi, le corps et ses images, sa place, est au cœur du problème. Il y a par exemple la petite Clara, une enfant de 10 mois dont le corps chétif, sans tonus, qui ne dort pas, témoigne en réalité d’un puissant effort d’obtention d’un corps tonique et fort – impossible pour elle – afin de veiller et de soutenir le chagrin de sa mère.

J.-D. NASIO nous livre ici un ouvrage dense, courageux et profondément émouvant: il nous rend témoin d’une traversée intime de l’œuvre psychanalytique dans sa vitalité, d’une mise en lumière de son être à l’ouvrage dans la stratégie clinique – opéra -, d’une réflexion sur sa pratique toujours approfondie par un questionnement théorique sans cesse renouvelé, sculpté d’un hommage aux maîtres – Freud et Lacan – mais aussi à Spinoza, Victor Hugo et Marguerite Yourcenar dont l’œuvre se penche sur les passions humaines.

C’est une traversée magistrale des pulsions de vie, de leurs cheminements et de leur potentiel, et celle aussi bien d’une autonomie remarquable centrée sur les racines de la relation à l’autre, l’attention vive et concentrée à son être et à sa singularité, à sa place dans le temps.