Allons-nous tous devenir des déprimés Covid-19 ?
La Dépression Covid-19

De plus en plus nombreux sont ceux qui se dépriment parce qu’ils ne supportent plus l’oppression de cette épidémie interminable ! Je suis à bout de nerfs ! Je n’en peux plus ! – me disent-ils – J’ai envie de tout laisser tomber !

La situation est dramatique ! Nous savons que les mesures préventives prises actuellement contre ce mal invisible et insidieux qu’est la Covid-19 et ses variants, ont des conséquences néfastes sur le moral de beaucoup d’entre nous. Le remède est aussi dangereux que le mal.

Le nombre de personnes déprimées a triplé depuis l’apparition de l’épidémie et s’est décuplé durant ces cinq derniers mois. Et si je pense aux tensions psychologiques qui s’accumulent depuis le confinement, le déconfinement, le reconfinement, le couvre-feu et maintenant le retard incompréhensible de la vaccination ainsi que la menace des nouveaux variants du virus, eh bien, nous constatons que les consultations pour dépression ont été multipliées par 8 !

De nombreux collègues psychiatres et moi-même, nous recevons en ce moment de plus en plus de patients qui se dépriment et toujours pour les mêmes raisons. J’ai été tellement surpris par cette sorte de dépression épidémique que je l’ai baptisée Dépression Covid-19, variante inédite de la dépression que nous connaissons déjà.

Pour mieux cerner ce qu’est la Dépression Covid-19, je voudrais la comparer avec la dépression classique. Habituellement, le patient déprimé souffre d’une tristesse tenace, s’enferme en lui-même, se maltraite et se méprise. Il ne s’aime pas. Il est constamment fatigué et sans énergie. Fréquemment, la dépression classique est déclenchée par un choc émotionnel chez une personne déjà très sensible qui vient de perdre quelqu’un ou quelque chose dont elle dépendait viscéralement. Tous ceux qui se dépriment, se dépriment parce qu’ils ont perdu un être, un bien matériel ou même un idéal qu’ils aimaient d’une passion maladive.

Que dire maintenant de la Dépression Covid-19 ?

La Dépression Covid-19
n’est pas la dépression classique

A la différence de la dépression classique, la Dépression Covid-19 est plus légère dans l’intensité des symptômes et plus courte dans sa durée. Si la crise sanitaire s’arrête, la dépression s’arrête ! Le déprimé Covid n’est pas aussi englué dans sa tristesse que le déprimé classique. Certes, il est triste, mais d’une tristesse anxieuse et agacée. Contrairement au déprimé ordinaire, il ne se méprise pas, mais il méprise tout le monde de manière compulsive et répétitive. Alors que le déprimé classique est agressif contre lui-même : Je suis nul !, le déprimé Covid est agressif contre les autres : Ils sont tous nuls !. Bien qu’abattu, il ne peut s’empêcher de vilipender tant le gouvernement pour son “incompétence et sa cacophonie” que les médecins pour leurs prises de position “hypocrites et contradictoires” sur les plateaux de télévision. Pour lui, tous sont coupables de son désarroi et de la gestion calamiteuse de la crise sanitaire.

Dans la dépression ordinaire, je suis désespéré : le mal est en moi et je ne m’aime pas, je perds l’estime de moi-même ; dans la Dépression Covid-19, je suis exaspéré : le mal est au-dehors, je méprise les autres, mais je conserve l’estime de moi-même.

Or la grande différence entre la dépression ordinaire et la Dépression Covid-19 se situe au niveau de la cause qui les provoque. La dépression épidémique ne se déclenche pas à la suite d’un unique choc émotionnel, non, la Dépression Covid-19 se déclenche après uneaccumulation insupportable d’angoisse. Alors que la cause qui déclenche la dépression ordinaire est l’impact massif d’un choc émotionnel, la cause qui déclenche la dépression épidémique est une succession de privations, d’injustices et de frustrations devenues anxiogènes et insupportables. Aussi, le futur déprimé Covid-19, excédé d’angoisse, s’énerve facilement, se fatigue de s’énerver et, peu à peu, glisse dans la dépression.

Je vous propose alors la gradation suivante : contrariétés incessantes è angoisse qui s’amplifie èénervement et exaspération contre les autorités èfatigue et découragement è et, enfin, effondrement dans la Dépression Covid-19.

La Dépression Covid-19 apparaît
au point culminant de l’angoisse

Mais avant de m’arrêter sur la Dépression Covid-19, je voudrais vous parler un instant de l’angoisse.

Nous pouvons reconnaître quatre types de l’angoisse suscitée par la situation sanitaire. Le premier est la peur de la maladie, la crainte d’être contaminé et mourir isolé à l’hôpital, ou bien la peur de contaminer un proche.

Une deuxième angoisse est celle d’être obligé de rester confiné à la maison, angoisse qui a deux variantes opposées : la variante dans laquelle nous nous angoissons de ne plus sentir la présence vivifiante de ceux que nous aimons : les grands-parents, les enfants, les petits enfants, les frères et sœurs et beaucoup d’autres ; ou encore de ne plus fréquenter nos amis qui nous rendent heureux d’être nous-mêmes.

L’autre variante de l’angoisse suscitée par le confinement est à l’extrême opposé de l’isolement : nous nous sentons étouffés par nos proches avec qui nous sommes condamnés à vivre en vase clos les uns sur les autres.

Ou bien nous nous angoissons d’être isolés, ou bien nous nous angoissons d’être envahis. Ou l’autre nous manque, ou l’autre nous pèse.

La troisième angoisse est celle provoquée par l’incertitude économique et la crainte de perdre le travail, de faire faillite ou s’endetter à jamais.

Et, pour terminer, le quatrième type d’Angoisse Covid-19 est la peur de l’inconnu, d’un futur inconnu qui nous empêche de nous projeter au-delà du présent. C’est la peur de ne pas savoir quand s’achèvera cette crise sans fin et quelles seront les mauvaises surprises qui nous attendent une fois l’épidémie vaincue. L’incertitude de ce que nous allons devenir est de tous les tourments le plus difficile à supporter.

On comprend maintenant que le fait qui m’a conduit à qualifier cette dépression épidémique de Dépression Covid-19, a été le nombre croissant de personnes fortement angoissées qui ont fini par se déprimer. L’angoisse accumulée a donc engendré la tristesse. Comment concevoir ce passage ? Pour répondre, laissez-moi définir d’abord l’angoisse, puis la tristesse.

L’angoisse est une crainte, la crainte de perdre ce qui m’est vital. Quand je vous ai parlé des quatre types d’Angoisse Covid-19, la crainte était d’être contaminé et de perdre la santé qui m’est vitale ; d’être confiné et de perdre la présence affectueuse des autres qui m’est tout aussi vitale ; ou, à l’inverse, d’être envahi, et de perdre ma précieuse intimité. Ou, encore, la crainte de me retrouver sans travail et de perdre mon indispensable stabilité matérielle ; et, enfin, la crainte de ne plus entrevoir un horizon qui m’attend et de perdre alors le sentiment d’être appelé qui, lui aussi, m’est vital. Il m’est vital parce que, me sentant appelé, je suis pleinement moi-même.

Sans doute, dans cette période stressante que nous traversons, chacun de nous découvre ce qui lui est vital. Précisément, si je devais décliner ce qui nous est vital et que nous craignons de perdre, je vous proposerais les formules suivantes :

– On a besoin du corps pour être soi et, si possible, d’un corps qui ne souffre pas.

– On a besoin de l’autre pour être soi, plus exactement de l’amour, de l’amour de l’autre, c’est-à-dire de son affection mêlée à la nôtre. On a besoin de se sentir aimé et surtout d’aimer pour être soi.

– On a besoin d’agir pour être soi, c’est-à-dire d’accomplir ce que nous avons à accomplir et si possible avec plaisir.

– Et, par-dessus tout, on a besoin de se sentir attendupour être soi, sentir qu’il y a dans le monde quelqu’un qui m’attend, que je compte pour quelqu’un. C’est exactement à l’opposé du désert du déprimé : il sent que personne ne l’attend et qu’il compte pour rien.

Être sain, être aimé et aimant, être actif et se sentir attendu, voilà ce qui nous est vital sans même y penser. Justement, quand nous pensons à ce qui nous est vital et que nous avons peur de le perdre, c’est là que surgit l’angoisse.

Mais attention ! Certes, nous pouvons tous nous angoisser devant les diverses menaces de la crise sanitaire, mais pas au point de souffrir d’une angoisse si exacerbée qu’elle mène à la dépression. Et même encore, tous ceux qui souffrent d’une angoisse exacerbée ne tomberont pas forcément en dépression. Soyons donc clairs. Face aux circonstances inédites de la crise d’aujourd’hui, il y a ceux qui savent s’adapter sans trop d’angoisse, ceux qui s’angoissent de manière extrême et, parmi ceux-là, ceux qui risquent de tomber en dépression.

C’est pourquoi, si vous me posez la question “Allons-nous tous devenir déprimés Covid-19 ?”, je vous réponds non ! Seules se déprimeront les personnes qui, déjà très anxieuses, ont été incapables de supporter les nombreuses contraintes imposées par la crise.

Venons-en maintenant à la tristesse qui est au cœur de la dépression. Si l’angoisse est la crainte de perdre ce qui nous est vital, la tristesse est la douleur de l’avoir perdu ou… d’avoir cru le perdre. L’angoisse est un sentiment d’anticipation, la menace d’un mal futur ; la tristesse, en revanche, est un sentiment de désolation, le tourment d’un mal présent.

Alexandre,
un déprimé Covid-19

Pour vous montrer le passage de l’angoisse à la dépression, je pense ici à un patient, Alexandre, propriétaire d’un cinéma de quartier, qui s’est déprimé récemment lorsque le gouvernement français a annoncé, le 15 décembre 2020, que toutes les salles de spectacles devaient rester closes jusqu’à une date indéterminée. Avant cette annonce, Alexandre souffrait déjà d’une angoisse qui s’était amplifiée au fur et à mesure de la survenue de mauvaises nouvelles touchant le monde de la culture et à l’idée de devoir fermer définitivement sa salle de cinéma. Aussitôt après l’annonce, il s’est montré très énervé contre les autorités arbitraires et l’inertie des associations de défense du cinéma. Très vite sont apparus les premiers symptômes d’une dépression : tristesse, abattement et le sentiment qu’il était inutile de continuer à se battre pour sauver son entreprise.

On le voit, lorsqu’un malheur est pressenti, émerge l’angoisse ; lorsque le malheur survient, s’installe la dépression.

7 recommandations pour aider
un ami déprimé Covid-19

Avant de conclure, je voudrais vous suggérer quelques gestes simples pour accompagner au mieux notre proche ou notre ami qui souffre d’une Dépression Covid-19.

  • En premier lieu, n’oubliez pas que la Dépression Covid-19 est passagère et que notre proche ou ami déprimé guérira assez vite.
  • Si vous réconfortez une personne déprimée, souvenez-vous que l’essentiel ce ne sont pas les mots que vous lui dites mais la conviction avec laquelle vous les lui dites, une conviction sereine qu’il perçoit dans votre voix et même dans votre manière de vous tenir.
  • Soyez donc réconfortants et attentifs mais sans exagération. Parfois, il est nécessaire de se montrer ferme sans être froid ni désagréable.
  • D’autres fois, un silence ému, une présence silencieuse et chaleureuse est plus encourageante que toutes les paroles de soutien.
  • Il est préférable de ne pas discuter avec le déprimé les motifs qui, selon lui, justifient sa souffrance. N’entrez pas dans ses plaintes ou dans ses ruminations morbides. Laissez-le se plaindre et, avec respect, écoutez-le sans le contredire. Proposez-lui plutôt de parler de son enfance et quelquefois demandez-lui d’apporter des vieilles photos de famille que vous commenterez ensemble. Surprenez-le en l’invitant à aborder en détail tel moment significatif de son histoire.
  • Montrez-lui les aspects positifs de sa personne ainsi que les défis qu’il a déjà relevés dans sa vie et qui lui ont permis d’être l’homme ou la femme qu’il est devenu.

Si de toutes mes recommandations vous deviez en retenir une seule, je vous dirais : grâce à l’intensité de votre présence et à l’authenticité de votre émotion, vous réussirez à redonner à votre ami déprimé le goût d’agir.

J.-D. NASIO

Vous pouvez télécharger ce texte au format PDF en cliquant sur le lien ci-dessous :

Allons-nous tous devenir des déprimés Covid-19 ?

Vidéo sur cette thématique :